Castlevania: Lords of Shadow
Par MercurySteam, le 5 octobre 2010, sur PlayStation 3 et Xbox 360 – Quelques années se sont écoulées avant que Konami n’avoue sa grande incapacité à faire un bon, un grand Castlevania en 3D. Ni les épisodes Nintendo 64, ni les volets PlayStation 2 n’avaient réussi à convaincre entièrement. Devant ces échecs répétés, c’est au jeune développeur espagnol, MercurySteam, que revient le flambeau. Pas entièrement bien sûr, puisque le projet est chapeauté, tout de même, par les productions Kojima. Toujours est-il que si l’excellence de ce nouveau chapitre de la saga ne se dément franchement pas, il est légitime de se demander si ce qu’on a entre les mains est bel et bien un épisode de la très vieille série Castlevania.
L’an zéro
Le grand reboot a eu lieu. Ça arrive parfois, dans le jeu vidéo, qu’une série renie ses aïeuls et se métamorphose. On l’a déjà vu avec Shining qui, après avoir offert de très bons tactics et dungeon crawlers, est devenu un beat them all de seconde zone sur PlayStation 2. Et qui rame. On l’a également vu, ce grand reboot, avec Phantasy Star. Demandez à vos petits cousins s’ils connaissent Phantasy Star ! Je vous parie qu’ils vous répondront que c’est un poids lourd du hack and slash. Et bien cette remise en question, c’est ce qu’il fallait à Castlevania. On le lisait depuis des années, dans toutes les critiques d’Internet : « très peu d’innovation dans ce nouveau Castlevania », « un épisode trop classique » ou encore « qu’on enlève la série des mains d’Igarashi ! » C’était trop triste d’en arriver là, quand on connaît les hauteurs qu’a atteint la saga dans les années 90.
Pour donner un nouveau point de vue à la légende, et s’affranchir de certains codes trop contraignants pour l’imagination, Konami a choisi de donner sa chance au studio espagnol, MercurySteam, dont le projet Lords of Shadow semblait prometteur. Et ce qui devait, en principe, être un nouveau remake de la première aventure de Simon Belmont (déjà revisitée sur Super Famicom et X68000) s’est transformée en une histoire absolument différente de ce qu’on avait pu trouver dans la série jusqu’à aujourd’hui : un confrère de la lumière, Gabriel Belmont, qui désire ressusciter sa bien-aimée. Voilà de quoi bien rompre avec la tradition vampirique.
Pot-pourri garni
Je n’irai pas jusqu’à dire, néanmoins, que ce nouvel opus soit une révolution dans la grande saga Castlevania. En effet, à l’instar de Lament of Innocence et Curse of Darkness, ce Lords of Shadow va se présenter sous la forme d’un beat them all bestial. Et s’il pompe beaucoup moins sur Devil May Cry que les volets PlayStation 2, il s’inspire ici très largement de God of War, et pas que. C’est un concentré de ce que le jeu vidéo a vécu de meilleur pendant ces cinq dernières années, en passant par Shadow of the Colossus (avec d’authentiques colosses à affronter, en moins impressionnant, entendons-nous et sans la musique de Kow Otani), Darksiders, Bayonetta ou encore Uncharted, pour ne citer que quelques excellentes références. Ce nouveau Castlevania est d’une certaine façon la synthèse de ce que le beat them all est devenu ces quelques dernières années.
Malgré tout, le titre n’est pas seulement un jeu de combat et l’exploration tient une part importante dans l’expérience de jeu. La variété de ce Castlevania: Lords of Shadow est un des mots-clés le définissant, un peu comme si, par miracle, les prières des joueurs de Lament of Innocence et de Curse of Darkness avaient été entendues. Entre les joutes, assez variées également avec un bestiaire d’une quarantaine de monstruosités, se greffent pas mal d’énigmes et de petits puzzles en tout genre qu’il est possible de zapper, pour tout vous dire, au risque de perdre les bonus d’expérience qui y sont associés. Les niveaux sont également construits à base de nombreuses plateformes et la structure globale des environnements évoque plus, au joueur, Prince of Persia: Les Sables du Temps que les ignobles couloirs copiés/collés des épisodes PlayStation 2. Il existe même un bon nombre de passages qu’il faut traverser en prenant possession de quelques ennemis, comme des précipices à franchir à dos d’araignées tisseuses de toiles. La variété des situations a donc clairement été une des préoccupations des développeurs.
De quoi fouetter un chat
Malgré tous ces beaux efforts pour que le jeu ne se transforme pas en un hack and slash massif, le cœur du problème reste, soyons franc, la mêlée, le choc, la stonba quoi, bref, le combat. Assez classique là encore, Lords of Shadow va proposer de transformer des points d’expérience précieusement acquis à la guerre (ou grâce à certaines énigmes) contre de nouvelles techniques. Du point de vue de la palette d’attaques, le titre n’a rien à envier à un Ninja Gaiden. Mais la véritable tension qui va rendre les combats plus dynamiques est créée par le système de magie. En effet, à chaque coup porté par Gabriel ou paré au dernier moment, une jauge de combos va se remplir. Une fois pleine, chaque attaque réussie par le joueur se transforme en orbes de magie, blanches ou noires, on a le choix. La magie blanche, une fois enclenchée, permet récupérer des PV à chaque attaque. Quant à la magie noire, elle double la puissance des coups de fouet de Gabriel. Ce système oblige le joueur à jouer correctement, sans marteler sauvagement les boutons d’attaque. Les effets de la magie confèrent au tout un aspect stratégique indéniable, l’une et l’autre ne pouvant être enclenchées simultanément. Faut-il se soigner ou porter le coup de grâce ? Telle est très souvent la question dans ce titre dont la difficulté des combats est souvent relevée.
Une fois la quête principale terminée, il reste au joueur encore pas mal de choses à faire dans cet épisode. En effet, en plus des niveaux de difficulté croissants pour les Dieux de l’Olympe, chaque niveau peut être rejoué avec un certain challenge, du type « détruire 50 gobelins » ou « ne pas se faire toucher dans ce niveau. » Certains de ces défis donnent du fil à retordre, mais relancent l’intérêt de manière très simple. De toutes façons, il faut revisiter chaque niveau puisqu’on y trouve un grand nombre d’objets qui vont permettre d’améliorer les capacités de Gabriel. Des gemmes de vie, de magie noire et de magie blanche, ainsi que certains objets qui augmentent la capacité du port d’armes secondaires, sont à récupérer un peu partout, une fois que la palette de mouvements du héros est complète. Grâce au double saut et compagnie, on gagne l’accès à certaines zones et la rejouabilité est relancée. Tout cela est proposé sans DLC, merci !
In association with Kojima Productions
Au niveau de la réalisation, on ressent beaucoup la patte des productions Kojima. C’est surtout, pour préciser un peu les choses, la mise en scène et la narration qui me font écrire ça. En effet, on retrouve dans cet épisode de Castlevania quelques scènes dont l’industrie cinématographique d’Hollywood se vanterait d’être le père. Ces scènes pourrait être le digne héritage de Metal Gear Solid et permettent au jeu de poser une narration solide. En effet, l’histoire est toujours bien racontée, avec les récits de Zobek pendant les chargements, de belles scènes cinématiques et un dossier que l’on peut consulter et qui en apprend plus sur l’univers. Bon, après, même si tout ça est bien mis en scène, ça reste bien creux et l’histoire n’est au final pas si intéressante que ça. Pire, la fin laisse un goût amer dans la bouche et semble vraiment à côté de la plaque. Difficile d’y accrocher, en tout cas, même si l’univers est, lui, tout à fait charmant, il faut bien l’admettre, avec des plans majestueux, des teintes de bon goût et une envie de perfection assez flagrante.
Pour donner vie à cet univers avec brio, la réalisation a été minutieusement soignée. Qu’il s’agisse de la variété des décors ou de la finesse des animations, le titre est beau à chaque instant comme il n’en peut plus. C’est une véritable réussite esthétique qui n’est pas que technique mais aussi artistique. On pourrait tout de même reprocher aux objets de clignoter quand on peut les attraper, par exemple, et qui créent indéniablement un sentiment de distanciation. À côté de ça, c’est réussi, et contrairement à ce qu’on peut lire sur certains boards de la toile, la fréquence de l’image n’est pas si catastrophique que ce que laissait envisager la démonstration. La qualité sonore peut décevoir, en revanche. Les musiques sont peut-être un peu trop discrètes et on ne se surprendra pas à siffloter quelques thèmes inoubliables. Tout est doublé, les doublages sont de bonne qualité, mais musicalement, on est loin, très loin des canons de la série. C’est forcément une mauvaise nouvelle car c’est une des grandes forces de la saga, ne l’oublions pas.
Forge d’identité
Le véritable problème de cet épisode de Castlevania n’est donc pas sa qualité, reconnue comme il se doit, mais la question de l’identité. Les uns et les autres le crient, ce Castlevania n’est pas un vrai Castlevania. C’est en parti vrai, même si on a quelques références à d’anciens épisodes, ainsi que quelques ressources étymologiques, ou des éléments de gameplay qui sont toujours là. Malgré tout, les développeurs de MercurySteam ont réussi à fabriquer une identité toute nouvelle à la série, qui pourrait devenir un arc dans la grande famille Castlevania. En effet, ce Castlevania réussit d’emblée à poser son univers comme acquis, comme s’il avait toujours existé en tant que tel, notamment grâce à l’apport du dossier qui en apprend plus sur les personnages, les lieux et les évènements passés. Ceci dit, les liens directs avec la série sont infimes, et ce n’est pas la pauvre fin programmée après coup qui donne une impression de continuité.
Toujours est-il que, Castlevania ou pas, cet épisode est un grand jeu d’action rythmé, varié et d’une beauté fulgurante. La série a enfin enfanté un jeu de grande envergure sur une console de salon, et il serait dommage de bouder son plaisir à cause d’un soit-disant lien de parenté illégitime avec le reste de la série. C’est un évènement que l’on attend depuis Symphony of the Night sur PlayStation et qui remonte, tout de même, à 1997. Et après tout, ce dernier rompait également avec une série déjà difficile à bouger à l’époque. Et si aujourd’hui cet épisode apparaît un peu comme un OVNI dans l’univers de Castlevania, il pourrait devenir le point de départ d’une nouvelle ramification de la saga, pourquoi pas. Si des suites d’une qualité similaire voient le jour, je ne vois aucune raison de s’y opposer, bien au contraire…